dimanche 8 novembre 2009

Le TPIR face au jugement de l’histoire

Pour l’historien de métier les méthodes du TPIR sont inacceptables pour au moins six raisons principales :
- Le refus de prise en compte l’évolution des connaissances
- Le refus obstiné d’enquêter sur l’attentat du 6 avril 1994
- Les manipulations du Procureur
- Le recours aux faux témoins
- Les témoins à décharge récusés et les moyens de preuve à décharge refusés…
- Le viol du principe de neutralité

1) Le refus de prise en compte de l’évolution des connaissances

A aucun moment le bureau du Procureur n’a tenu compte des faits nouveaux apparus tout au long de la procédure. Tout au contraire, il demeura ancré et même cramponné sur des postulats obsolètes, s’appuyant essentiellement sur Alison Des Forges, expert attitré de l’Accusation[1] dont le constant parti pris, les a-peu près scientifiques, le raisonnement confus et la méthodologie brouillonne lui ont permis de construire une fausse histoire du génocide au nom de laquelle les jugements ont été rendus. Par rapport à ce que l’on croyait au lendemain de l’assassinat du président Habyarimana, que savons-nous de nouveau en 2009, soit quinze ans plus tard et qui n’a pas été pris en compte par le TPIR ?

- L’attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au président Habyarimana du Rwanda n’a pas été commis par des Hutu dits « extrémistes », mais l’aurait été par la fraction dirigeante tutsi actuellement au pouvoir au Rwanda (Bruguière, 2006[2]; Merelles 2008[3]).
- Entre 1991 et 1994, plusieurs responsables hutus dits « modérés », notamment MM Félicien Gatabazi et Emmanuel Gapyisi furent assassinés, ce qui, à l’époque, avait provoqué la condamnation et la mise au ban du régime Habyarimana accusé d’avoir commandité ces crimes. Or, ces meurtres ont également été ordonnés par l’actuelle équipe au pouvoir à Kigali. Les enquêtes du juge français Bruguière (2006) et du juge espagnol Merelles (2008) donnent même les noms des tireurs, des conducteurs des véhicules ou des motos ayant servi aux attentats etc .
- En 1991 et en 1992, des dizaines d’attentats aveugles (mines, grenades etc.,) provoquèrent l’exacerbation de la haine ethnique. Sur le moment, ils furent attribués aux hommes de main du président Habyarimana, les fameux « escadrons de la mort ». Aujourd’hui, les juges Bruguière et Merelles soutiennent que ces attentats ont été commis par des membres du FPR et qu’ils entraient dans le cadre d’une stratégie de tension destinée à provoquer le chaos permettant une conquête du pouvoir (Bruguière, 2006 ; Merelles 2008).
- Les Interahamwe dont le nom est associé au génocide des Tutsi furent crées par un Tutsi devenu plus tard ministre dans le gouvernement tutsi du général Kagame. Le chef de cette milice à Kigali était lui-même Tutsi ainsi que nombre d’infiltrés au sein de la milice dont nous connaissons parfois les noms et jusqu’aux pseudonymes Bruguière, 2006; Merelles, 2008). Leur mission était double : provoquer le chaos afin de créer l’irréversible et discréditer les Hutu aux yeux de l’opinion internationale[4].
- Procès après procès, en dépit de tous ses efforts, l’Accusation devant le TPIR n’a pas été en mesure de démontrer que le génocide fut programmé, même s’il a bien eu lieu. Devant l’accumulation des contre-preuves, Alison Des Forges elle-même fut forcée de reconnaître, avec cette formulation alambiquée qui était sa marque de fabrique, qu’elle n’avait jamais pu prouver l’intention génocidaire : « (…) tout en voyant l’existence d’un plan de façon claire, je n’ai aucune façon, aucune manière (été en mesure) d’établir que les personnes qui ont participé à ce plan avaient l’intention de commettre un génocide ». (TPIR-97-31-T, Lundi 5 mars 2007, Des Forges). En 2000, avec un grand sens de la mesure, l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) avait pourtant fait à ce sujet le constat suivant : « (…) il n’existe aucun document, aucun procès-verbal, de réunion et aucune autre preuve qui mette le doigt sur un moment précis où certains individus, dans le cadre d’un plan directeur, auraient décidé d’éliminer les Tutsi (…) Ce que nous savons (…), c’est qu’à partir du 1° octobre 1990, le Rwanda a traversé trois années et demie de violents incidents anti-Tutsi, dont chacun peut facilement être interprété en rétrospective comme une étape délibérée d’une vaste conspiration dont le point culminant consistait à abattre l’avion du Président et à déchaîner le génocide. Cependant, toutes ces interprétations demeurent des spéculations. Personne ne sait qui a descendu l’avion, personne ne peut prouver que les innombrables manifestations de sentiments anti-Tutsi durant ces années faisaient partie d’un grand plan diabolique. » (OUA, rapport 2000, 7/1)[5]. A aucun moment l’Accusation devant le TPIR n’a tenu compte de ces nouveautés pourtant essentielles et elle a au contraire continué à désigner obstinément les Hutu dits « extrémistes » comme uniques responsables de la tragédie. L’acte d’accusation étant demeuré figé sur ses certitudes anciennes, les accusés ont donc subi et ils subissent encore une procédure violant leurs droits puisqu’ils sont poursuivis selon un acte d’accusation obsolète.

2) Le refus d’enquêter sur l’ attentat qui est à l’origine de tout….

Le TPIR a constamment raisonné et tenté de faire croire que l’attentat et le génocide qui l’a suivi n’étaient pas liés. A l’exception de celle menée par le juge français Bruguière, il n’y a pas eu d’enquête concernant cet acte de terrorisme international qui fut pourtant l’élément déclencheur du génocide. En revanche, il est possible de mettre en évidence une constante obstruction à la recherche de la vérité de la part de l’ONU et donc du TPIR. Le rappel de quelques dates et de quelques faits est ici nécessaire :
- Le 7 avril 1994, dès le lendemain de l’attentat qui venait de coûter la vie à deux chefs d’Etats en exercice, le Président du Conseil de Sécurité des Nations Unies, invita le Secrétaire Général des Nations Unies à recueillir toutes les informations utiles concernant cet acte de terrorisme et d’en faire rapport dans les plus brefs délais au Conseil de Sécurité.
- Devant son silence, le 21 avril, le Conseil de Sécurité demanda à nouveau au Secrétaire Général de l’ONU de lui fournir toutes les informations au sujet de l’attentat, mais sans plus de succès.
- Le 17 mai 1994, le Conseil de Sécurité rappela au Secrétaire Général ses demandes antérieures[6], une nouvelle fois en vain.
- Le 28 juin 1994, M. René Degni Segui envoyé spécial des Nations Unies au Rwanda admettait que l’attentat était bien la cause des dramatiques évènements ultérieurs, dont le génocide, mais à sa demande de commission d’enquête, il fut répondu que les Nations Unies n’avaient pas de budget pour cela.
- Néanmoins, à l’automne 1994, une commission d’experts remettait au Secrétaire Général de l’ONU un rapport demandant la création d’un tribunal international dont la mission serait « d’enquêter, entre autres choses, sur les évènements qui ont conduit à la situation actuelle, notamment l’attentat contre l’avion transportant les Présidents du Burundi et du Rwanda ».

Effectivement créé le 8 novembre 1994 par la Résolution 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies avec compétence du 1° janvier au 31 décembre 1994, pour juger les présumés organisateurs du génocide rwandais de 1994, le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) fut installé à Arusha. L’attentat du 6 avril 1994 est donc indiscutablement inclus au cœur du champ de compétence chronologique du TPIR. Or, avec une grande constance, le TPIR a constamment refusé d’enquêter sur lui. Et pourtant, dès le mois de février 1997, certains éléments recueillis par des enquêteurs du TPIR en poste à Kigali, dont M. Michael Hourigan, établissaient la responsabilité du FPR dans cet attentat. Ces enquêteurs agissaient alors sous l’autorité du Procureur Général, Madame Louise Harbour[7] qui, à l’époque, considérait que l’attentat contre l’avion présidentiel rwandais entrait bien dans le domaine de compétence du TPIR. Le 1° août 1997, un rapport établissant la responsabilité du FPR dans l’attentat du 6 avril 1994 fut remis au TPIR qui n’y donna pas suite. L’existence de ce document fut révélée au mois de mars 2000 par un journal canadien. Contraint de réagir, le 27 mars 2000, le service juridique de l’ONU confirma la réalité de ce rapport, précisant qu’il avait en son temps été transmis à la Présidence du TPIR à Arusha. Le TPIR refusa de fournir ce document au juge Bruguière qui enquêtait sur l’attentat du 6 avril 1994 : « (Attendu) Qu’une commission rogatoire internationale était délivrée le 23 mai 2000 aux autorités compétentes du TPIR, sollicitant la remise d’une copie de ce rapport et du « mémorandum interne » qui avait été remis à Madame Louise Harbour ; Que cependant, Madame Navanethem Pilay, Présidente du Tribunal faisait connaître en réponse à cette demande d’entraide judiciaire que bien que détenant le document en question ( nous soulignons n.d.e), elle était dans l’impossibilité de répondre favorablement à la demande française (Rapport de Jean-Louis Bruguière, Tribunal de Grande Instance de Paris, Paris, 17 novembre 2006, p. 19). Heureusement pour le bon déroulement de l’enquête, le « Rapport Hourigan » est tout de même parvenu au juge Bruguière en dépit de la fin de non-recevoir émanant du TPIR : « (…) le 31 août 2000, le Parquet de Paris communiquait , sur instruction du Ministre de la Justice, une copie du dit rapport qui a été joint à la présente procédure en vue de son exploitation ; (…) les documents transmis par le Parquet de Paris étaient authentifiés par Monsieur Michael Hourigan (…) lors de son audition à Paris le 29 décembre 2000 (…) (Rapport de Jean-Louis Bruguière, Tribunal de Grande Instance de Paris, Paris, 17 novembre 2006, p. 19). M.Hourigan a donné de très importantes informations au juge Bruguière : (…) concernant sa mission pour le compte du TPIR, (il) relatait que les enquêteurs de son service, autorisés par leur hiérarchie à enquêter sur l’attentat alors considéré comme entrant dans le champ de compétence du Tribunal, n’avaient jamais recueilli de renseignements tangibles sur l’implication des extrémistes Hutu mais qu’ils avaient été attraits, en revanche sur la piste mettant en cause le FPR (…) ; depuis une ligne sécurisée de l’Ambassade des Etats-Unis à Kigali, il avait eu, aux alentours du 7 mars 1997, une conversation téléphonique avec Madame Louise Harbour et qu’au cours de cet échange, cette dernière lui avait fait part qu’elle avait recueilli, par d’autres canaux, des renseignements recoupant les siens et qu’à aucun moment elle ne lui avait dit que l’enquête concernant l’attentat n’entrait pas dans le mandat du TPIR (…) » (Rapport de Jean-Louis Bruguière, Tribunal de Grande Instance de Paris, Paris, 17 novembre 2006, pp 19-20). Toujours interrogé par le juge Bruguière, M. Hourigan déclara à ce dernier que Mme Harbour avait à l’époque subitement changé d’opinion. En contradiction avec les instructions qui lui avaient été données antérieurement, elle le critiqua ainsi pour avoir mené cette enquête, qui, selon elle, était hors du champ de compétence du TPIR, avant de le sommer de rompre tout contact avec ses informateurs. Cette attitude fut confirmée au juge par au moins un autre enquêteur. (Rapport de Jean-Louis Bruguière, Tribunal de Grande Instance de Paris, Paris, 17 novembre 2006, p 22.) Une décennie auparavant, le 7 février 1997, M° Tiphaine Dickson, avocate dans le procès Georges Rutaganda avait plaidé devant le TPIR une requête visant à ordonner au Procureur de rendre publics tous les éléments de preuve qu’il détenait au sujet de l’attentat contre l’avion présidentiel et d’entreprendre des enquêtes à ce sujet. La réponse de l’Accusation avait été au sens propre, stupéfiante : « Notre responsabilité n’est pas de mener une enquête sur l’écrasement de l’avion (sic !!! ), ce n’est pas notre tâche. Je vais donc, de manière catégorique, écarter cette question. Et je dirai surtout que nous n’avons pas à mener de telles enquêtes, nous n’avons pas de rapport sur de telles enquêtes non plus. Deuxièmement, ce n’est pas notre rôle, ce n’est pas notre mission de mener des enquêtes sur l’écrasement ( sic !!!) d’un avion transportant des présidents ou des vice-présidents. La question ne relève donc pas de notre compétence. » (TPIR 96-3-T, Le Procureur c. Rutaganda, 7 février 1997). Au mois de décembre 1999, ne craignant pas de se contredire, et tout en tordant la vérité, le Procureur, Madame Carla Del Ponte, avait quant à elle affirmé avec une tranquille assurance : « Si le tribunal ne s’en occupe pas (de l’attentat), c’est parce qu’il n’a pas juridiction en la matière. Il est bien vrai que c’est l’épisode qui a tout déclenché. Mais en tant que tel, le fait d’attaquer l’avion et de descendre le président, ce n’est pas un acte qui tombe dans les articles qui nous donnent juridiction »[8]. Si nous suivons le raisonnement de Madame Del Ponte, tout ce qui aurait contribué à la « préparation » du génocide serait donc bien de la compétence du TPIR, mais pas l’attentat lui-même dont elle nous dit pourtant qu’il est « l’épisode qui a tout déclenché » et qu’elle considère par ailleurs comme étant un des éléments de la planification du génocide. La justice d’exception permet bien des libertés avec la logique, avec l’histoire et d’abord avec le droit…

3) Le Procureur et ses manipulations

Le capitaine Innocent Sagahutu qui commandait l’Escadron A du Bataillon de Reconnaissance (Recce) de l’ancienne Armée rwandaise (FAR)[9], est prisonnier des Nations Unies et détenu à Arusha depuis le mois de février 2000 en raison d’une incroyable manipulation du Procureur. Dans son Acte d’accusation en date du 20 janvier 2000, ce dernier écrit en effet que le capitaine Sagahutu était le « commandant en second » du Bataillon de reconnaissance (Recce), que de ce fait il avait autorité sur tout le bataillon et qu’il était donc responsable des crimes qui auraient pu avoir été commis par n’importe lequel des membres de cette unité. L’invraisemblance d’une telle accusation n’ayant pas échappé à la Cour, cette dernière avait : « (…) invité le Procureur à vérifier le poste officiel qu’il (le capitaine Sagahutu) occupait dans le Bataillon de reconnaissance de l’Armée rwandaise à l’époque des faits et le cas échéant de corriger les renseignements fournis dans l’accusation » (TPIR- Décision du 25 septembre 2002, paragraphe 30). Or, dans son Acte d’Accusation modifié en date du 23 août 2004, le procureur n’a pas suivi les demandes de la Cour, osant même écrire les lignes suivantes : « Lors des évènements visés dans le présent acte d’accusation, Innocent Sagahutu avait les attributions de Commandant en second du bataillon de reconnaissance (RECCE) de l’Armée rwandaise et était responsable de la Compagnie A dudit bataillon. Il avait le grade de capitaine. En sa qualité de Commandant en second du bataillon de Reconnaissance ou de faisant fonction, Innocent Sagahutu était investi d’une autorité sur l’ensemble des unités de ce bataillon » (TPIR-00-56-I, Acte d’Accusation modifié, 23 août 2004, paragraphes 11 et 12). N’ayant pas vérifié si le capitaine Sagahutu était, ou n’était pas, « le commandant en second » du Bataillon de reconnaissance dit Recce, le Procureur a donc maintenu ses affirmations, rajoutant même péremptoirement la mention « ou faisant fonction ». Or, ce dernier ajout, aussi totalement et intrinsèquement fantaisiste que la fonction de « commandant en second » attribuée au capitaine Sagahutu n’était qu’une mention de circonstance destinée à tenter de sauver un acte d’accusation en perdition car en total décalage avec les faits. Il est en affligeant de devoir constater que le Procureur n’a même pas pris la peine de vérifier le bien fondé de ses accusations alors qu’il avait en sa possession les documents officiels innocentant l’accusé, en l’occurrence le tableau de Situation des officiers de l’armée rwandaise au 01.01.1993 et au 01.03. 1994, document qui ne lui était pas inconnu puisqu’il est référencé par le TPIR sous la côte K0078420-K0078512. Or, ce document montre que le « commandant en second » n’existait pas au sein des FAR, pas plus d’ailleurs que les « officiers faisant fonction », sauf exceptions dûment précisées, ce qui ne l’était pas dans le cas présent. Le procureur a donc non seulement caché la preuve qui innocentait l’accusé, mais plus encore, il a inventé et soutenu le contraire en toute connaissance de cause. Devant toute autre juridiction que le TPIR on parlerait de forfaiture avec toutes les conséquences que cette notion juridique implique.

4) Le recours à des faux témoins

Les témoins du TPIR viennent en grande partie du Rwanda où ils sont emprisonnés ou « libres », mais toujours comptables de leurs déclarations et de leurs témoignages lors de leur retour à Kigali. Leur sincérité est donc sujette à caution. Un exemple parmi bien d’autres permettra d’illustrer mon propos : entendu à huis clos par le TPIR, un anonyme témoin de l’accusation dont le numéro d’identification est « XXQ » a affirmé sous serment que le 15 février 1994, à 10 heures du matin, le colonel, aujourd’hui général, Gratien Kabiligi (TPIR-97-34), était arrivé en hélicoptère à Ruhengeri au commandement du secteur opérationnel et qu’il y avait présidé une réunion, déclarant aux officiers présents que le « génocide devait commencer le 23 février 1994 et partout en même temps au Rwanda (…) ». A travers ce témoignage, l’Accusation pouvait donc conforter son postulat qui est, rappelons le, que le génocide était programmé et que l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994, soit moins de deux mois plus tard, n’en n’est donc pas la cause. Comme le TPIR fonctionne selon le système anglo-saxon de la Common Law, aucun juge d’instruction n’a, en amont, instruit à charge et à décharge, ni fait le « tri » en écartant les affabulateurs ou les menteurs, ce qui fait que ce témoignage fut admis ; or il s’agissait bien d’un faux témoin. Venu témoigner devant le TPIR, le colonel belge Luc Marchal ancien commandant de la Minuar (ONU) pour le secteur de Kigali expliqua que :
- Conformément aux accords d’Arusha et à l’accord concernant la zone de consignation des armements, les hélicoptères des FAR étaient à cette époque placés sous son contrôle dans des hangars situés sur l’aéroport international de Kanombe. Surveillés 24h sur 24, ils avaient été désarmés et leur armement stocké dans d’autres hangars ;
- Tout vol éventuel était soumis à une autorisation stricte et obligatoire de la Minuar qui devait pouvoir avertir le FPR que le vol était bien autorisé et pour un motif bien établi. Or, documents à l’appui, le colonel Marchal démontra que le 15 février 1994, aucun vol n’avait eu lieu et que, par voie de conséquence, le colonel Kabiligi ne pouvait s’être rendu à Ruhengeri en hélicoptère ;
- Plus encore, ce jour là, nous sommes toujours le 15 février 1994, le colonel Kabiligi ne pouvait être physiquement à Ruhengeri car avait justement lieu à Kigali, l’inspection du contingent belge de la Minuar (ONU) par le lieutenant général Uttyerhoven, Inspecteur de la force terrestre belge venu spécialement d’Europe. Or, entre 10 heures du matin et 15h 30 et cela de façon continue, le colonel Kabiligi avait participé à la totalité de l’inspection, ce qui a fait dire au colonel Marchal : « Je peux vous confirmer que ce jour-là et à l’heure que vous avez mentionnée, le colonel, le général Kabiligi se trouvait en ma présence ». (TPIR-98-41-T, Marchal, 30 novembre 2006, p. 14.) ; « XXQ » a donc fait un faux témoignage. Certes, le général Kabiligi a depuis été acquitté, mais il a passé 10 années en prison sur la foi de ce témoignage non vérifié par le TPIR, mais tellement utile au Procureur.

5) Des témoins à décharge récusés et des moyens de preuve à décharge refusés…


Devant le TPIR, il arrive aussi que des témoins à décharge soient récusés et que des moyens de preuve à décharge soient refusés. L’affaire Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T) est emblématique à cet égard car elle fournit plusieurs exemples proprement hallucinants. Emmanuel Ndindabahizi, Ministre des finances du GIR (Gouvernement intérimaire rwandais) a été inculpé de génocide et d’assassinat. Lors de son procès, le Procureur a présenté quatorze témoins à charge. La « sincérité » de onze d’entre eux étant par trop caricaturale, les juges les ont d’emblée écartés et seuls trois témoins de l’accusation furent conservés et c’est sur leurs seuls témoignages qu’Emmanuel Ndindabahizi fut condamné. Ces trois témoins anonymes, dont les indicatifs sont respectivement CGY, CGN et CGC ont commencé par déclarer qu’ils connaissaient bien l’accusé car il était le gérant du magasin de la coopérative paysanne Trafipro de Kibuye. CGM ajouta même qu’il avait bien connu Emmanuel Ndindabahizi en 1966-1967 quand il était enseignant à Nyarutovu. Or, comme cela a été établi, Emmanuel Ndindabahizi n’a jamais été le gérant d’un magasin Trafipro et, de plus, il n’a jamais enseigné… Une juridiction « normale » aurait à l’évidence compris qu’elle était en présence de témoins « douteux », mais la Chambre du TPIR qui jugeait Emmanuel Ndindabahizi ne pouvait les récuser pour une simple raison qui était que onze autres témoins ayant auparavant été rejetés, le Procureur se serait retrouvé totalement démuni. Or, sans témoins de l’Accusation, comment continuer à accuser ? Le plus incroyable est cependant à venir. La jurisprudence du TPIR est que les témoignages non corroborés sont rejetés. Et pourtant, c’est sur le seul témoignage de CGY qu’Emmanuel Ndindabahizi a été reconnu coupable de génocide sur la colline de Gitwa le 23 avril 1994 et sur le seul témoignage de CGC qu’il a été reconnu coupable de meurtre sur la personne de M. Nors, un métis belgo rwandais. Or, dans un autre procès devant le TPIR, mais avec le même Procureur, à savoir M° Philips Adeogun, le témoin CGY avait déclaré sous serment qu’aucun massacre ne s’était produit sur la colline de Gitwa entre le 20 et le 26 avril 1994. Dans le procès Ndindabahizi, une nouvelle fois interrogé par le Procureur Philips Adeogun, CGY a sereinement affirmé, toujours sous serment, qu’Emmanuel Ndindabahizi avait participé au génocide des Tutsi à Gitwa entre le 23 et le 25 avril 1994 et qu’il en avait été le témoin. Ces deux témoignages suspects furent retenus par la Cour. En revanche, trois témoins produits par la défense furent écartés, à savoir :

- Le témoin DC, condamné à la prison à vie au Rwanda, a totalement disculpé l’accusé or la Cour a rejeté son témoignage.
- Un député tutsi qui a perdu sa famille lors du génocide dans la région où Emmanuel Ndindabahizi aurait commis des meurtres a longuement enquêté, interrogeant les survivants et les habitants de la colline de Gitwa pour savoir comment, par qui et où les siens avaient été massacrés. Devant la Cour il a affirmé que le nom de Ndindabahizi n’avait jamais été prononcé par l’un ou l’autre de ses interlocuteurs. Ce témoignage n’a pas été pris en compte dans le jugement.
- Le témoin DX, ancien enquêteur du TPIR qui avait interrogé Emmanuel Ndindabahizi avant son arrestation est venu dire à la barre que ce dernier n’avait été inculpé que parce qu’il avait refusé de « marchander » avec le TPIR. En réalité, il avait décliné la « proposition » qui lui avait été faite par le Procureur de devenir indicateur du TPIR en échange de l’abandon des poursuites. Son témoignage fut rejeté. Un document intitulé Rapport préliminaire d’identification des sites du génocide et des massacres d’avril à juillet 1994 publié au mois de février 1996 par le Ministère rwandais de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Culture est utilisé par le TPIR qui en a fait un constat judiciaire car il recense tous les lieux de génocide, le nombre de victimes et les noms des tueurs ou des donneurs d’ordre. Le nom d’Emmanuel Ndindabahizi n’y figure pas. La Chambre a refusé de considérer ce moyen de preuve comme moyen de défense de l’accusé. Et pourtant, au même moment, ce document était présenté et accepté comme preuve à charge dans un autre procès, celui dit des « membres du gouvernement ». Devant le TPIR, quand un même document est présenté par le Procureur, il est accepté comme moyen de preuve à charge mais quand il l’est par la Défense, il est refusé. Enfin, Emmanuel Ndindabahizi étant poursuivi pour l’assassinat de M.Nors, la propre fille du défunt a témoigné devant le TPIR, affirmant qu’il n’avait rien à voir avec la mort de son père, abattu en raison d’un différend d’ordre privé par un dénommé Nkubito qui avait d’ailleurs été jugé et condamné pour ce meurtre par le tribunal de Kibuye et qui, depuis, était mort en prison. En toute bonne justice, les poursuites auraient donc dû être abandonnées sur ce point, or il n’en fut rien. Le 15 juillet 2004, le TPIR a condamné M. Emmanuel Ndindabahizi à la prison à vie pour génocide sur la colline de Gitwa et assassinat de M. Nors !!!

6) Le viol du principe de neutralité

Le 23 novembre 2006, réagissant au rapport du juge Bruguière désignant le FPR comme étant le responsable de l’assassinat du président Habyarimana, M. O’Donnell, alors porte parole du TPIR est clairement sorti de son rôle en sous-entendant qu’il disposait de documents prouvant que les FAR détenaient des missiles SAM 16, ce qu’ignorait le juge Bruguière, et que, dans ces conditions la piste FPR avait donc été trop rapidement privilégiée par le juge français. Comme le colonel Bagosora avait été mis en cause par M. O’Donnell, le 25 novembre 2006, sa Défense écrivit au Greffier du TPIR pour lui demander de démentir ces propos « erronés et mensongers ». Le 30 novembre 2006 la Public Affairs and Information Unit publia un communiqué pour le moins alambiqué dans lequel l’Administration du TPIR reconnaissait que son porte-parole avait repris des éléments émanant du bureau du Procureur.

Ainsi, M. O’Donnell :
- A volontairement « travesti » la réalité du dossier, afin de tenter de limiter la portée et les effets du Rapport Bruguière.
- A délibérément violé le statut de neutralité qui est le sien, se faisant de facto le porte-parole d’une partie, en l’espèce le Bureau du Procureur.

Or, ces assertions mensongères n’auraient en aucun cas dû être faites. Un peu plus d’un mois avant la date de la malheureuse intervention de M. O’Donnell, le Tribunal avait en effet longuement examiné les pièces auxquelles il faisait allusion et que l’Accusation avait cherché à faire passer pour la preuve de la possession de missiles SAM 16 par les FAR. Pour comprendre cette manipulation, il importe d’avoir recours à la chronologie :
- Durant l’été 1991, le colonel Laurent Serubuga chef d’état-major de l’armée rwandaise (FAR) avait demandé au gouvernement égyptien, l’Egypte étant le principal fournisseur d’armes du Rwanda, de lui établir une facture pro forma concernant l’achat éventuel de missiles SAM 16.
- Le 2 septembre 1991, la partie égyptienne envoya ce document au colonel Serubuga.
- Le 17 janvier, après l’avoir longuement étudié, ce dernier le transmit au Ministre de la Défense en lui conseillant d’y donner une suite favorable.
- Au mois d’avril 1992, un gouvernement de coalition dirigé par l’opposition au président Habyarimana fut mis en place.
- Au mois de juin, le colonel Serubuga fut remplacé comme chef d’état-major des FAR par le colonel Deogratias Nsabimana. Le gouvernement d’opposition dit « de coalition » et dont le Premier ministre était M. Nsengiyaremye du parti MDR ne donna pas suite à cette demande afin de ne pas indisposer le FPR sur lequel il comptait pour triompher du président Habyarimana. Le dossier est donc on ne peut plus clair : il n’y a pas eu de commande, donc pas de bon d’achat et encore moins de bon de livraison de missiles SAM 16 par l’Egypte. Les FAR ne possédaient donc pas de ces missiles antiaériens, ce qui a été formellement confirmé devant le TPIR par le colonel belge Luc Marchal, à l’époque des évènements responsable Minuar de la ville de Kigali et qui avait en charge l’inventaire et la consignation des matériels militaires des FAR (TPIR-98-41-T, Marchal, 30 novembre 2006. p. 30). Dans ces conditions, comment M.O’Donnell a-t-il pu faire état de ces documents ? C’est lors du procès du colonel Bagosora que le Procureur présenta la facture égyptienne pro forma et les notes techniques qui lui étaient annexées afin de les utiliser contre l’accusé. Il joignit alors et tout à fait artificiellement le nom du colonel Bagosora au dossier au seul motif que ce dernier était alors selon lui, Commandant du camp de Kanombe et qu’il avait donc sous ses ordres l’unité de défense anti-aérienne des FAR. Le sous-entendu était limpide : le « cerveau du génocide » ayant la haute main sur les missiles SAM 16 achetés à l’Egypte, c’est donc le colonel Bagosora qui a abattu ou fait abattre l’avion du président Habyarimana. CQFD ! L’argumentation du Procureur reposait donc sur la manipulation d’une facture pro forma qu’il tenta de faire passer pour une facture authentique ( !!!). Devant un « tripatouillage » aussi énorme, le Tribunal fut contraint de réagir car il en allait de sa crédibilité et le 17 octobre 2006, il écarta toute responsabilité du colonel Bagosora dans l’attentat contre le président Habyarimana : No allegation implicating the Accused (Bagosora) in the assassination of the President is to be found in the indictment, the Pre-Trial Brief or any other Prosecution communication. Indeed, no actual evidence in support of that allegation was heard during the Prosecution case. ( TPIR- Decision on Request for Disclosure and Investigations Concerning the Assassination of President Habyarimana (TC) 17 octobre 2006). Devant le TPIR le principe de neutralité a donc été bafoué et il y a peut-être même eu entente entre l’Accusation, c'est-à-dire le Procureur, et la Communication, c'est-à-dire M. O’Donnell. Pourquoi l’Accusation et le Porte parole du TPIR ont-ils pris d’aussi grands risques ? La réponse est claire : la thèse officielle commune au régime de Kigali et à l’Accusation devant le TPIR a volé en éclats en raison de l’évolution de l’historiographie. Le Procureur qui voyait, audience après audience, son acte d’accusation fondre comme neige au soleil, n’avait pas de stratégie de rechange. Il était donc pris au dépourvu, d’où les incohérences, les tripatouillages et les manipulations de documents ou de faits tels ceux que nous venons de mettre en évidence. Le jugement de l’Histoire sera très sévère pour le TPIR. Un demi siècle après les procès staliniens en URSS, on aurait en effet pu penser que de telles dérives n’étaient plus possibles. D’autant plus que le TPIR est une émanation de l’ONU… Les tribunaux de Staline avaient du moins un avantage sur le TPIR car ils n’avaient pas été constitués, eux, pour œuvrer à la « réconciliation » des communautés... Il est d’ailleurs légitime de se demander si de telles violations des principes les plus élémentaires du droit, si de tels manquements aux exigences les plus primordiales de la méthode scientifique, auraient pu exister si le TPIR avait jugé des Blancs et non des Noirs et si le TPIR n’avait pas tenu ses assises au cœur du continent noir et en quasi huis clos médiatique.

Bernard Lugan
08/11/2009

[1] A. Des Forges fut l’expert du Procureur dans les procès Akayezu (ICTR- 96-4-T), Gacumbitsi (ICTR- 01-64-T), MEDIA regroupant ceux de Nahimana Ferdinand (ICTR-96-11), Ngeze Hassan François (ICTR-97-27) et Barayagwiza Jean Bosco (ICTR-97-19). Dans celui d’Emmanuel Ndindabahizi (ICTR- 01-71-T) , dans les procès de Butare regroupant les affaires Kanyabashi Joseph (ICTR-96-15), Ndayambaje Elie ( ICTR-96-8), Nsabimana Sylvain (ICTR-97-29), Ntahobali Arsène (ICTR-99-21),Ntaziryayo Alphonse (ICTR-97-29) et Nyiramasuhuko Pauline (ICTR-99-21), dans les affaires Bizimungu Casimir (ICTR-99-45), Mugenzi Justin (ICTR-99-47), Bicamumpaka Jérôme (ICTR-99-49), Mugiraneza Prosper (ICTR-99-48), dans le dossier dit MILITAIRES I regroupant ceux du Colonel Bagosora Théoneste (ICTR-96-7) du Général Kabiligi Gratien (ICTR-97-34), du Lt Colonel Nsengiyumva Anatole (ICTR-96-12) et du Major Ntabakuze Aloys (ICTR-97-30), ainsi que dans les dossiers Rwamakuba, (ICTR- 98-44-T) et Renzaho (ICTR- 97-31-I).
[2] Bruguière J-L ( 2006) Ordonnance de Jean-Louis Bruguière, Tribunal de Grande Instance de Paris, Paris, 17 novembre 2006. 
[3] Merelles, F.A., (2008) Juzgado central de Instrucccion n°4. Audiencia nacional.Madrid, 6 février 2008, 181 pages
[4] Or, seuls des Hutu ont été jugés puisque le TPIR a constamment refusé poursuivre des Tutsi, à commencer par les commanditaires et les exécutants connus des divers crimes et attentats dont il vient d’être fait état.
[5] Rapport du Groupe international d’éminentes personnalités pour mener une enquête sur le génocide de 1994 au Rwanda et ses conséquences sur la région des Grands Lacs. Addis-Abeba, juillet 2000, 600 pages.
[6] Au mois de juin 1994, à Tunis, les membres de l’OUA demandèrent la création d’une commission d’enquête impartiale. 
[7] Les Procureurs généraux du TPIR ont été M. Richard Goldstone (novembre 1994 à septembre 1996, Mme Louise Harbour (septembre 1996 à septembre 1999), Mme Carla Del Ponte ( septembre 1999- août 1992) et M. Hassan Bubacar Jallow depuis le mois d’août 2002.
[8] Carla Del Ponte, décembre 1999. Cité par M° Jean Degli « La position du TPIR sur l’attentat du 6 avril 1994 », in Charles Onana :Silence sur un attentat.Paris, 2005, p.80.
[9] Pour mémoire, les FAR ou Forces armées rwandaises comprennent l’AR (Armée rwandaise) et la GdN (Gendarmerie nationale).

dimanche 10 mai 2009

Les élections sud-africaines du mois d'avril 2009

Le 21 septembre 2008, le président Thabo Mbeki fut poussé à la démission par son propre parti, l’ANC, qui lui avait retiré sa confiance en raison d’ « interférences » dans le dossier d’accusation en corruption contre Jacob Zuma lequel briguait la Présidence. Le coeur du problème était la guerre ouverte que se livraient, à l’intérieur de l’ANC, les partisans et les adversaires de ce dernier avec, en toile de fond, la rivalité Xhosa-Zulu.

Le 22 septembre, un Sotho, M. Kgalema Motlanthe fut désigné comme Président dans l’attente des élections de 2009 avec pour tâche principale de tenter d’éviter l’éclatement de l’ANC, mais il échoua. Durant le mois d’octobre, les partisans de M. Mbeki décidèrent en effet de créer un nouveau parti dont le nom fut annoncé à la presse par M. Mbhazima Shilowa, ancien Premier de la Province du Gauteng. Il s’agissait du Congress of the People (COP) devenu COPE, qui fut enregistré le 10 novembre devant l’IEC (Independant Electoral Commission). Le lancement officiel de ce nouveau parti se fit le 16 décembre à Bloemfontein, fief de l’un de ses principaux leaders, M. Mosiuoa « Terror » Lekota, un Sotho, ministre de la Défense et ancien Premier de la Province du Free State.

Cette dissidence touchant le cœur de la vieille base ethnique xhosa de l’ANC, l’Afrique du Sud se trouvait donc à un tournant de son histoire car, depuis 1994 le mouvement exerce un « centralisme démocratique », appuyé sur une majorité absolue, tant au niveau national que local. Or, en contrôlant les législatures provinciales, l’Etat-parti peut donner une orientation jacobine à une Constitution pourtant fédérale. Avec un parti de gouvernement moins exclusivement dominant, donc avec un Etat central affaibli, le caractère fédéral de la Constitution allait peut-être pouvoir s’imposer. Là était le principal enjeu de ces élections législatives qui prirent la forme d’un plébiscite pro ou anti-Zuma.

Les résultats de ces élections doivent être étudiés avec attention car, par-delà son excellent score global apparent (65,90%), l’ANC recule de 4 points par rapport à 2004 (69,69%). Ce repli est sensible dans 7 provinces sur 9, l’ANC ne renforçant son score que dans les régions ethniques zulu (Kwazulu/Natal) ou dans le Mpumalanga, région à fort peuplement zulu où il maintient son pourcentage de 2004. Partout ailleurs le COPE a mordu sur son électorat. Au niveau national l’ANC subit un recul considérable dans certaines provinces : 4 points de moins dans le Limpopo ; près de cinq points dans le Gauteng ; 8 points dans le Northern Cape et dans le North West ;10 dans le Free State ;12 dans l’Eastern Cape ;15 dans le Western Cape. La seule exception est le Kwazulu/Natal où il progresse de 16 points, l’électorat zulu de l’Inkhata s’étant détourné de ce mouvement afin de voter pour le Zulu Jacob Zuma. Si nous retirons le Kwazulu/Natal et le Mpumalanga, nous constatons que l’ANC a perdu près de 9 points en moyenne au niveau national, ce qui lui donnerait un score de 57% et non plus de 65,90%. L’ANC a donc perdu une partie non négligeable de son électorat traditionnel, phénomène compensé par son excellent résultat dans le Kwazulu/Natal où il a gagné 1.227 339 voix par rapport à 2004.

Avec un score national de 7,42%, le COPE qui a comme nous l’avons dit, mordu sur l’électorat ANC, et sur lui seul, n’a pas réalisé la forte percée qu’il espérait en dépit de bons résultats dans le Northern Cape avec près de 16% des suffrages ou encore dans l’Eastern Cape avec un peu plus de 13% des voix. La principale explication de ce résultat moyen est qu’il n’a pas présenté de leader, mais un religieux inconnu du grand public qui a fait une campagne axée sur la lutte contre la corruption, prônant bonne gouvernance et moralité publique, alors que Jacob Zuma, diabolisé par la presse anglophone est apparu comme le leader populiste porteur de l’identité africaine. Cependant, si le vote Zuma est un vote interethnique noir, cette unité est fragile. Le vote nationaliste afrikaner a quasiment disparu, les Afrikaners ayant voté pour le DA. En dehors du Western Cape où les Métis ont très largement voté pour lui, ce sont les suffrages afrikaners qui assurent d’ailleurs au DA ses bons scores nationaux. L’Alliance démocratique (DA) d’Helen Zille, maire du Cap demeure l’opposition officielle au Parlement avec un score en progression de plus de 4 points (16,66%) par rapport à 2004 (12,33%) et dirigera la Province du Western Cape où l’ANC a subi un cuisant revers, passant de 46,27% des voix en 2004 à 31,55% en 2009.

Deux grandes tendances se dégagent de ce vote :

1) L’affaiblissement de l’ANC. Est-ce un accident de parcours ou une tendance lourde ? La question est essentielle car c’est la toute puissance de l’Etat-parti ANC qui est en jeu.
2) La division raciale du pays, les Blancs et les métis afrikanérophones ayant voté DA et les Noirs ANC ou COPE.

Bernard Lugan
07/05/2009

vendredi 8 mai 2009

Cette Afrique qui était allemande





















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jeudi 12 février 2009

Le « projet Pécresse » ou l’insignifiance face aux corporatismes

Pour une fois au coude à coude, les contestataires rôdés du Snesup et les prudents caciques du Syndicat autonome ont donc défilé contre le « projet Pécresse ». Cette insolite coalition de tous les corporatismes et de toutes les frilosités a facilement eu raison d’un projet insignifiant qui ne pouvait en aucune manière ralentir le naufrage annoncé de l’Université française.

Le principal défaut du « projet Pécresse » était qu’il ne proposait rien tout en évitant prudemment de revenir sur un demi siècle de médiocratie et de secondarisation de l’Université. En effet :

- A partir du moment où 80% d’une classe d’âge obtient le baccalauréat et comme il est interdit d’établir une sélection à l’entrée des universités, ces dernières ont perdu leur vocation élitiste pour devenir des dispensatrices de savoir à des masses quasiment illettrées. Nos établissements ont donc vu partir à la fois leurs meilleurs étudiants au profit des grandes écoles et leurs plus motivés au profit des filières professionnelles courtes, d’où l’effondrement des effectifs en Sciences Humaines.

- En quelques années le public étudiant a changé et pour mettre l’enseignement supérieur à son niveau, il a fallu le secondariser, c'est-à-dire le « pédagogiser ». Les universités n’ayant pas les moyens humains d’encadrer ces masses de bacheliers, des agrégés du secondaire y furent envoyés en renfort pour tenter d’y faire ce qu’ils n’avaient pas réussi quand ils étaient professeurs dans les lycées. Les universités sont ainsi devenues un simple prolongement du secondaire.

- Ce phénomène de secondarisation fut encore amplifié par la suppression du doctorat d’Etat qui était le critère d’excellence du recrutement des professeurs, pour être remplacé par un « petit » doctorat qui n’offre pas la garantie scientifique de l’ancienne thèse. Dès lors, les recrutements reposèrent sur le préalable de l’agrégation du secondaire laquelle attestait un socle minimum de méthodologie et de connaissances. Or, ce concours permet certes de recruter d’excellents professeurs des lycées, mais pas des professeurs d’université. Peu à peu, les jeunes collègues importèrent donc dans les établissements supérieurs les pratiques pédagogiques et administratives des lycées dans lesquels ils avaient jusque-là exercé et l’Université acheva de perdre son âme.

Le « projet Pécresse » ne revient sur aucun de ces points pourtant fondamentaux. Négocié avec les syndicats, c’est un bien timide texte qui ne manifeste aucune volonté de rupture. Or, vouloir sauver l’université française implique la répudiation de la massification au profit d’une re-élitisation qui s’ancrerait sur les deux mesures suivantes :

1) Un concours d’entrée à l’université, chaque établissement fixant ses propres règles et étant libre du montant de ses droits d’inscription, le système des bourses ou les prêts pour études permettant à tous ceux qui en ont les capacités d’accéder à ces établissements d’élite. Le bouche à oreille fonctionnant vite, les étudiants rechercheraient les universités délivrant des diplômes valorisants. La hiérarchie par la compétence s’imposerait alors à l’actuelle dictature du nombre.

2) Sur le modèle anglo-saxon, liberté de recrutement du corps enseignant avec prime donnée aux meilleurs afin de les fidéliser et notation des professeurs par les étudiants.

Le « projet Pécresse » ne prévoyant aucune véritable mise en place de telles mesures, son inutilité était donc démontrée dès sa naissance.

Que l’on ne se leurre pas, le non-dit universitaire doit être décrypté car, ce qui rassemble d’abord les contestataires de tous horizons est en priorité la défense de leur statut. A cet égard, le principal reproche qu’ils font au timide plan ministériel est celui de l’évaluation de leur carrière ; or, nous sommes là en pleine hypocrisie. En effet

1) Pour avoir siégé durant plusieurs années au CNU (Conseil national des Universités), je puis attester que les carrières y faisaient régulièrement l’objet de marchandages entre les coteries syndicales et les « écuries » nationales ou régionales. En définitive, les mandarins négociaient entre eux l’attribution des postes. Le seul point positif du « projet Pécresse » était de limiter leurs pouvoirs ; mais le ministre a reculé.

2) Faut-il alors confier la gestion des carrières aux présidents d’université ? L’idée n’est pas mauvaise en soi, mais uniquement dans le cas où les universités seraient véritablement autonomes dans le sens anglo-saxon du terme. En effet, si les universités édictaient leurs propres règles, leurs propres normes, disposaient de leur budget et de leur liberté de recrutement des étudiants et des enseignants, une telle mesure serait excellente. Mais, et là encore apparaît toute l’incohérence du projet ministériel qui, s’il était mis en pratique dans le contexte actuel ne pourrait que renforcer le nombrilisme de la recherche et le clientélisme régional. Sans parler de la guerre civile qui éclaterait au sein de chaque établissement, l’équipe ayant élu le président étant naturellement récompensée par ces multiples minuscules avantages qui font tant d’envieux…

Drapés derrière leurs sacro-saintes « recherches », les corporatistes coalisés proposent la pérennisation de la médiocratie par la satisfaction des intérêts des plus nombreux aux dépens de ceux des meilleurs. Sur ce point également, le projet ministériel présente le double défaut d’avoir mis le feu aux poudres tout en ne proposant rien de fondamental.

Les universitaires dans leur très grande majorité publient articles, livres et travaux divers. Cependant, un non-dit est très prégnant au sein de la corporation et c’est celui de ces « chers collègues » qui ne publient pas et qui, de plus, ne font aucune recherche. Dans certains cas extrêmes, certains n’ont jamais été capables de rédiger une thèse tandis que d’autres, agoraphobes, n’ont jamais pu se présenter devant un amphithéâtre. Tous ont pourtant été évalués par leurs pairs du CNU et tous ont automatiquement franchi les échelons indiciaires, jusqu’à la « Classe exceptionnelle » pour certains d’entre eux. Jamais ils ne furent pénalisés par rapport à ceux qui publient.

Ce véritable scandale qui ne concerne qu’une minorité doit être dénoncé avec fermeté et c’est pourquoi une évaluation rigoureuse avec échelle de sanctions est une nécessité afin que cesse l’omerta en ce domaine. Le ministre se fourvoie donc quand il propose que les enseignants chercheurs qui ne publient pas voient leur charge horaire d’enseignement augmenter. Il oublie en effet qu’un universitaire qui ne fait pas de recherche ne remplit pas son contrat avec l’Etat et qu’il doit donc être tout simplement sanctionné et pourquoi pas muté d’office dans un établissement secondaire.

Pour avoir enseigné durant une décennie dans un système nord-américain, je ne me suis jamais considéré comme humilié quand mon doyen me demandait de remplir annuellement une fiche concernant mes publications en cours, celles à venir, la liste de mes participations à des colloques, etc.,

Voyons les choses en face, il est impossible de sauver l’Université française car :

1) Quoique l’on puisse dire, proposer ou faire, les corporatismes et les syndicats bloqueront toute véritable réforme.

2) Les autorités politiques n’auront pas le courage de rappeler les universitaires à leurs devoirs, ou tout simplement à leurs obligations, et éventuellement de les mettre au pas.

L’Institution n’étant plus réformable, que pouvons-nous faire pour au moins sauver les hommes ? La seule solution, si nous ne voulons pas que les meilleurs d’entre nous continuent à partir pour l’étranger, est de laisser naître des universités totalement autonomes, donc privées et d’abord sans le moindre financement de l’Etat, libres de leurs programmes, de leurs normes de sélection, du recrutement et de la rémunération de leurs enseignants chercheurs, libres enfin de fixer leurs droits d’inscription.

Tout le reste, à commencer par le « projet Pécresse » lui-même, n’est que stérile effet d’annonce.
 
Bernard Lugan
12/02/2009