lundi 15 novembre 2010

Elections présidentielles en Guinée

Les résultats définitifs officiels du second tour des élections présidentielles guinéennes n’étaient pas encore connus que des affrontements éclataient dans le pays, évènements hélas prévisibles, le premier tour, sondage ethnique grandeur nature, ayant exacerbé les tensions. Une fois encore en Afrique, la démocratie reposant sur le « one man, one vote », a donc débouché sur l’ethno mathématique. En Guinée, elle a amplifié les problèmes car la géographie physique y est juxtaposée à l’ethnopolitique[1]. Le pays est en effet composé de quatre grandes régions naturelles peuplées par chacune des quatre grandes ethnies :

1) La Guinée maritime est le territoire des Soso (+- 15 % de la population de la Guinée).
2) La Moyenne Guinée, région des hautes terres du Fouta Djalon qui couvre environ 1/3 de la superficie du pays, est le homeland des Peul (entre 35 et 40% de la population), ethnie persécutée à l’époque de Sekou Touré et constamment écartée du pouvoir depuis l’indépendance.
3) La Haute Guinée, région de savanes recouvrant presque la moitié du pays, est la patrie des Malinké (un peu plus de 30% de la population).
4) La Guinée forestière, région montagneuse couverte par la sylve est habitée par de nombreuses tribus rassemblées sous le nom d’ « ethnies forestières »[2] (entre 5 et 9% de la population), dont les principales sont les Kpélé-Guerzé, les Loma et les Kissi.

Le 27 juin 2010, lors du premier tour, une vingtaine de candidats briguèrent certes les suffrages des électeurs guinéens, mais d’abord ceux de leur propre ethnie. Le principal candidat peul, Cellou Dalein Diallo, obtint ainsi 39,72% des voix, arrivant largement en tête ; les deux principaux  candidats malinké rallièrent un peu moins de 30% des suffrages (Alpha Condé 20,67% et Lansana Kouyaté 7,75%) ; Sidya Touré, un Diakanké allié aux Soso obtint 15,60% des voix et Papa Koly Kouroumah, d’ethnie kpélé-guerzé, 4,83%. Le second tour qui s’est déroulé dimanche 7 novembre, soit cinq mois après le premier tour, opposa Cellou Dalein Diallo, le candidat des Peul, à Alpha Condé, celui des Malinké. Si, comme il le prétend, Alpha Condé l’a emporté, c’est qu’il aura obtenu le soutien des Soso, plus celui des « Forestiers ». Les Peul considéreront alors que la victoire leur a été volée, mais comme l’armée est très majoritairement composée de Malinké, ils seront mis à la raison. Du moins à Conakry, car leur région, la Moyenne Guinée va se trouver en état de partition ethnique.

Bernard Lugan
15/11/2010

[1] Pour l’historique de la question ethnique guinéenne ainsi que pour tout ce qui concerne l’histoire politique de la Guinée depuis 1958, il sera utile de se reporter au numéro 1 (janvier 2010) de l’Afrique Réelle.
[2] Les Malinké composent 35% de la population de la région.

dimanche 14 novembre 2010

L'Afrique Réelle N°11 - Novembre 2010



























SOMMAIRE :

Dossier : Les élections ivoiriennes
- Les peuples de Côte d'Ivoire
- La crise ivoirienne
- Les élections du 31 octobre 2010

Histoire :
- Origines de l'homme, adieu Afrique ? 

EDITORIAL : 

Le 31 octobre 2010, cinq années après la fin officielle du mandat du président Laurent Gbagbo, et après six reports successifs, les élections présidentielles ivoiriennes qui devaient mettre un terme à la situation de « ni guerre ni paix » prévalant dans le pays depuis la tentative de coup d’Etat de 2002, se sont enfin tenues. Organisées à grands frais par la communauté internationale, loin de permettre une sortie de crise, elles ont au contraire compliqué une situation politique aussi complexe qu’explosive. Ce scrutin qui n’a rien résolu démontre une fois de plus que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Sondage ethnique grandeur nature, ces élections ont ainsi confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois ensembles ethniques coagulés lors de ces élections autour de trois leaders : Henri Konan Bédié qui avec  25% des voix n’a pas été capable de rassembler au-delà de ses seuls soutiens Baoulé ; Alassane Ouattara qui en obtenant 32,5% des voix a montré qu’il demeurait le chef incontesté des ethnies nordistes et Laurent Gbagbo, arrivé en tête avec un décevant 38,3% des suffrages.
Le président sortant a cependant fait la preuve qu’il était capable de rassembler au-delà de sa petite base ethnique Kru/Bété. C’est ainsi que les Akan non Baoulé ont largement voté pour lui. Son épouse, Simone est elle-même Abouré, petite tribu Akan dont territoire commence à Bassam et le chef d’état-major des Armées, le général Philippe Mangou est Ebrié ; quant aux Attié, vieux résistants au pouvoir colonial et à celui d’Houphouet-Boigny, ce sont de solides alliés. De plus, Laurent Gbagbo a montré qu’il est le seul candidat ayant un électorat éparpillé trans-ethnique.
Le second tour des élections est programmé pour le 21 novembre 2010 et il s’annonce serré. Durant la campagne, les passions vont être exacerbées, ce qui ne va pas favoriser la cicatrisation de la fracture ethnique ivoirienne. Après l’actualité immédiate, le second dossier traité dans ce numéro 11 de l’Afrique Réelle nous conduit sur le long chemin de nos origines car l’idée selon laquelle toutes les populations de la planète seraient originaires d’Afrique est aujourd’hui  de plus en plus difficile à soutenir. Davantage acte de foi que véritable démonstration scientifique, cette quasi croyance obligée repose en fait sur deux postulats. Le premier est celui de l’hominisation dont on nous affirme qu’elle se serait faite en Afrique et uniquement en Afrique. Le second est adossé à un schéma diffusionniste selon lequel, ce serait à partir du continent africain que nos ancêtres auraient migré. Ils l’auraient quitté en deux fois, d’abord vers 2 millions d’années avec Homo erectus, puis, il y a environ  90 000 ans avec l’Homme moderne (théorie dite de l’ « Eve africaine »). Or, ces deux postulats sont aujourd’hui considérablement affaiblis en raison de découvertes récentes dont nous faisons le point dans ce numéro. Mais au-delà de ces nouveautés, la question des origines de l’homme dépasse désormais la controverse scientifique car elle a été placée au cœur de l’entreprise de déstructuration mentale des Européens. Elle a en effet permis de faire entrer dans la tête des nantis coupables du vieux continent l’idée selon laquelle nous serions tous des Africains, de lointains immigrés en quelque sorte. Dans ces conditions, pourquoi vouloir limiter l’accès à notre sol à ces « cousins » venus aujourd’hui d’Afrique alors que nos ancêtres l’avaient fait avant eux il y a quelques dizaines de milliers d’années ?

Bernard Lugan

jeudi 4 novembre 2010

Côte d’Ivoire : les élections confirment la fracture ethnique

Reportées plusieurs fois depuis 2005 et finalement organisées à grands frais par la communauté internationale, les élections ivoiriennes, loin de permettre une sortie de crise, compliquent tout au contraire une situation politique aussi complexe qu’explosive. Avec ce scrutin qui n’a rien résolu, la démonstration vient une fois de plus d’être faite que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Ce sondage ethnique grandeur nature a d’abord confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois blocs ethniques donc politiques.
- Pour le président sortant, M. Laurent Gbagbo, un Bété, élu en 2000 à la suite d’un vaste trucage électoral, le résultat de cette consultation est particulièrement cruel. Lui qui affirmait avec assurance qu’il allait triompher dès le premier tour n’a en effet rassemblé sur son nom qu’entre 36 et 37% des suffrages et a été mis en ballottage. La seule bonne nouvelle pour lui est qu’il a rassemblé au-delà de son noyau ethnique (+-12 %). L’analyse du scrutin montre en effet que les sous groupes akan, notamment les petites ethnies dites Lagunaires (+- 10 %) auxquelles appartient son épouse Simone, ont en partie voté pour lui, ainsi que l’électorat détribalisé de la région d’Abidjan qui s’est reconnu dans son discours nationaliste et ses positions anti-françaises. Laurent Gbagbo n’a cependant qu’une faible assise nationale car il n’atteint 50% des suffrages que dans 4 régions sur 19. Il réalise des scores médiocres dans le centre du pays et ses résultats dans les régions administratives du Nord sont dérisoires puisqu’il n’y obtient qu’entre 2 et 9 % des votes.
- L’ancien président Henri Konan Bédié, d’ethnie Baoulé (+- 25%), premier successeur de Félix Houphouët-Boigny, et qui occupa le fauteuil présidentiel de 1995 à 1999 est le second perdant de ce premier tour. Lui qui fut jadis le champion de l’ «Akanité », espérait rassembler sur son nom la grande majorité des 40% d’Akan ; or, il n’a recueilli que 25% des suffrages nationaux. Comme il a fait le plein des voix au centre du pays, dans les deux régions baoulé des Lacs et de N’zi-Comoé, ce résultat signifie clairement que les Akan non Baoulé se sont détournés de lui et qu’ils ont voté pour Laurent Gbagbo. Outre les Lagunaires, il a ainsi perdu l’électorat akan de la région du Sud Comoé où il n’obtient que 20% des voix. Dans l’Ouest, en zone Kru, il réalise en revanche des scores honorables là où des planteurs baoulé ont colonisé la terre des indigènes, notamment dans le Bas-Sassandra où il totalise 41% des suffrages. Ses résultats sont en revanche insignifiants dans le Nord avec moins de 5% des voix.
- Avec 33% des voix, Alassane Ouattara qui a coagulé sur son nom les votes des ethnies nordistes et musulmanes (Malinké, Dioula, Sénoufo, Kulango ou Lobi etc.,), est le grand vainqueur de ce premier tour puisqu’il met le président sortant en ballottage. Sa domination est écrasante dans 4 régions administratives nordistes où il obtient entre 73 et 93% des suffrages. Dans le Sud, ses résultats qui sont honorables ne sont que le simple décalque des noyaux de peuplement résultant des migrations internes et de l’immigration sahélienne ; dans la région d’Abidjan, il obtient ainsi 33% des voix.

En totalisant moins de 3% des suffrages à eux tous, les 11 autres candidats n’ont fait que de la figuration, ce qui signifie que la clé du second tour est détenue par l’électorat baoulé d’Henri Konan Bédié. Comme ce dernier a conclu un accord électoral avec Alassane Ouattara, en pure logique électorale européenne, Laurent Gbagbo qui est en ballottage défavorable devrait donc mathématiquement être battu. Les jeux sont cependant loin d’être faits et cela pour deux grandes raisons :

1) La première est le poids du contentieux opposant Henri Konan Bedié et Alassane Ouattara, le premier ayant jadis écarté le second en l’accusant d’être Burkinabé et non Ivoirien.
2) Laurent Gbagbo n’est pas homme à abandonner facilement un pouvoir qu’il a eu tant de mal à conquérir et son clan qui porte la responsabilité de multiples exactions sait qu’il a tout à redouter de l’arrivée au pouvoir de ses anciennes victimes nordistes. Le président sortant dispose de l’appareil de l’Etat, il tient la région d’Abidjan - bien qu’il y soit minoritaire avec 45% des suffrages -, il contrôle les zones cacaoyères de l’Ouest et le littoral riche en hydrocarbures, il est assuré du soutien de l’armée et de la gendarmerie et il a montré qu’il sait tenir la rue grâce à ses milices. Sa position est donc forte mais pour l’emporter au second tour, il doit impérativement séduire l’importante fraction Baoulé qui voit en Alassane Ouattara l’homme qui a provoqué ou inspiré le putsch du général Guei le 24 décembre 1999 et donc le renversement d’Henri Konan Bédié. Il va donc radicaliser la situation pour en revenir, d’une manière ou d’une autre, au concept de l’ «ivoirité » se présentant comme le « candidat des patriotes » contre « le candidat de l’étranger, homme à la nationalité douteuse ». Les passions qui vont être exacerbées vont donc élargir encore davantage la fracture ivoirienne.

La cartographie de cette élection est traitée en détail dans le numéro 11 (novembre 2010) de l’Afrique réelle qui sera envoyé par PDF aux abonnés dans les jours prochains.

Bernard Lugan
04/11/2010

mardi 2 novembre 2010

L'Afrique Réelle N°10 - Octobre 2010

 
SOMMAIRE :

Actualité : Rwanda
- La mort de Joshua Ruzibiza vue par les journalistes militants
- Joshua Ruzibiza : vérité judiciaire et vérités journalistiques

Dossier : Sud-Soudan
- Les quatre Soudan
- La guerre du Sud-Soudan
- La question du pétrole
- Un avenir hypothéqué

EDITORIAL :

Le Soudan, pays mastodonte, est secoué par trois conflits internes, celui du Darfour, celui des Beja (Bedja) à l’est du Nil, dans la région montagneuse parallèle à la mer Rouge et celui du Sud Soudan où un référendum doit en principe être organisé au début de l’année 2011. La guerre du Darfour a masqué celle du Sud-Soudan où les hostilités ont éclaté dès 1956, année de l’indépendance du Soudan anglo-égyptien. En 2005, affaibli par la guerre de sécession livrée par les Sudistes, et acculé à des concessions par la communauté internationale en raison des exactions commises au Darfour, le régime islamiste de Khartoum fut contraint de composer. C’est ainsi qu’il accorda une large autonomie au Sud-Soudan et qu’il accepta le principe de la tenue d’un référendum portant sur le statut de la région. Au mois de janvier 2011, les populations du Sud-Soudan iront donc en principe aux urnes et elles auront alors le choix entre maintenir l’unité du pays ou faire sécession. La question du Sud-Soudan peut donc déboucher sur l’éclatement du plus vaste Etat de l’Afrique sud saharienne et sur la remise en cause du principe de l’intangibilité des frontières africaines. La consultation pourrait également être la motrice d’une véritable dynamique de conflits, la question du partage des ressources pétrolières et celle de l’utilisation des eaux du Nil en faisant une bombe à retardement.

Entre la sécession pure et simple et le maintien de l’unité du pays, des solutions alternatives sont « suggérées » par ceux des acteurs internationaux qui ont intérêt à maintenir la liberté d’extraction du pétrole, à commencer par la Chine, premier client du Soudan. La géopolitique régionale est en effet en partie conditionnée par le projet chinois de pipeline qui conduirait jusqu’à la région de Port Soudan et à son terminal pétrolier les productions du Tchad et pourquoi pas celles du sud de la Libye, ce qui éviterait aux tankers chinois de devoir faire le tour de l’Afrique pour aller charger à Port Kribi au Cameroun ou en Méditeranée. Or, qu’adviendrait-il de ce projet si la partition du Soudan devenait effective et si la guerre embrasait la région ? Comme les plus importantes réserves pétrolières du Soudan sont situées dans les zones qui pourraient faire sécession, la solution pourrait alors être dans une confédération avec séparation politique doublée d’une complémentarité économique. Cette idée est refusée par les pays de la « ligne de front chrétienne », au premier rang desquels l’Ouganda dont le président, Yoweri Museveni, a clairement soutenu auprès du président Obama l’idée de l’indépendance du Sud Soudan. Cette option est également celle de Jérusalem, qui ne peut que voir d’un bon œil la perspective de l’affaiblissement du géant musulman qu’est le Soudan. D’autant plus qu’une recomposition politique régionale pourrait alors se produire, un « Etat chrétien » de plus venant renforcer l’Ethiopie (62% de chrétiens), l’Ouganda (70% de chrétiens) et le Kenya (66% de chrétiens). Quant à l’Egypte qui a toujours considéré le Soudan comme sa dépendance méridionale, comment réagirait-elle en cas d’indépendance du Sud Soudan ? Pour le moment, l’Egypte et le Soudan sont alliés dans la question du partage des eaux du Nil, contre sept pays d’Afrique de l’Est qui sont l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie, la RDC, le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Ces derniers réclament la renégociation du traité de 1929, actualisé en 1959, qui accorde plus de 85% du débit du fleuve à l’Egypte et au Soudan. Le Caire dispose également d’un droit de veto sur toute nouvelle construction (barrage, station de pompage ou d’irrigation) en amont du fleuve, ce qui bloque des dizaines de projets nationaux et régionaux. Quelle serait alors l’attitude d’un Sud Soudan indépendant qui pourrait être tenté d’ouvrir ses immensités à l’agriculture industrielle alors que l’Egypte a clairement menacé de bombarder tout chantier qui pourrait être susceptible d’affecter en amont le débit du Nil ?

Bernard Lugan